Le site coco.gg, un véritable fléau dans le paysage numérique, était impliqué dans un nombre impressionnant de près de 23 000 procédures de police. Cette plateforme, désormais fermée, était perçue comme un sanctuaire pour des comportements criminels et des prédateurs en ligne. La décision de la justice de fermer ce site est intervenue après une enquête approfondie, mettant en lumière les dangers liés à cette plateforme. Son créateur présumé a été interrogé en Bulgarie, soulignant la dimension internationale de ce grave problème de sécurité.
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"C'est une opération inédite", se satisfait, mardi 25 juin, auprès de Franceinfo Johanna Brousse, vice-procureure et cheffe de la section cyber à la Junalco (juridiction nationale en charge de la lutte contre la criminalité organisée) du parquet de Paris. Cette affirmation a été faite après la fermeture ce matin-là du site de discussion coco.gg, qui avait été qualifié de "un repère de prédateurs" par plusieurs associations engagées pour la défense de l'enfance ainsi que pour la lutte contre l'homophobie. De nombreux suspects ont été identifiés au cours de l'enquête, parmi lesquels se trouve le créateur de la plateforme, qui a été entendu en Bulgarie.
Franceinfo : Pouvez-vous nous expliquer en détail l'opération menée ce mardi matin ?
Johanna Brousse : Cette opération, baptisée "Coco", a été orchestrée ce mardi matin dans plusieurs pays, avec le soutien précieux d'Eurojust, l'agence européenne dédiée à la coopération en matière de justice criminelle. L'opération avait pour objectifs principaux de démanteler la plateforme coco.gg et de neutraliser les serveurs qui la propulsaient. Parallèlement, elle visait à geler les avoirs criminels générés par cette plateforme. De plus, des auditions ont été réalisées auprès de certaines personnes suspectées d'être impliquées dans l'administration de la plateforme. Globalement, cette enquête a mobilisé tous les collègues de la Junalco, et pas uniquement ceux de la section cyber. En effet, le concours de la section financière de la Junalco a été essentiel. C'était une opération de grande envergure, impliquant plusieurs services, notamment les douanes, la gendarmerie, les finances publiques, et une coopération internationale. C'est véritablement une opération sans précédent.
Les serveurs de la plateforme étaient-ils situés en France ?
Non, en réalité, les serveurs n'étaient pas localisés en France, ce qui a rendu nécessaire la coopération avec divers pays. Les auteurs des actes criminels avaient pris soin de disperser ces serveurs à l'étranger, ainsi que les avoirs criminels, afin d'entraver toute possibilité de remonter jusqu'à eux.
Quand l'enquête a-t-elle débuté, et quels en ont été les contours ?
L'enquête menée par le parquet de Paris a été ouverte à la fin de l'année 2023. À ses débuts, nous ne nous sommes pas limités à la seule prise en compte des signalements qui nous parvenaient ; nous avons souhaité établir de manière claire et précise le caractère délictuel de cette plateforme. Pour y parvenir, nous avons répertorié toutes les procédures judiciaires en lien avec coco. En consultant les dossiers de la police, nous avons identifié près de 23 000 procédures dans lesquelles la plateforme était impliquée. Nous avons également sollicité l'assistance de nos collègues des parquets à travers la France afin qu'ils nous fassent part des procédures associées à cette plateforme. De surcroît, nous avons entrepris des enquêtes sous pseudonyme pour aller constater nous-mêmes les infractions sur la plateforme. Nous avons réalisé qu'il n'y avait aucune modération, ce qui signifiait qu'il était possible de faire tout et n'importe quoi, et surtout que tout le monde pouvait s'inscrire sans possibilité de retracer l'identité des inscrits. Par conséquent, il n'y avait absolument aucun moyen de retrouver les auteurs des actions illégales.
Cette situation a-t-elle ouvert la porte à des abus et des délits de la part des utilisateurs de la plateforme ?
En effet, l'anonymat garanti par la plateforme favorisait la commission des infractions en toute impunité. Nous avons pu recenser, parmi les délits observés, divers faits, allant de la pédopornographie à des guets-apens avec extorsion, en passant par des vols avec violences. Des homicides ont même été planifiés par le biais de la plateforme. La diversité des infractions commises à travers coco.gg est alarmante.
Quelles accusations la justice peut-elle porter contre la personne ayant mis en place ce site, sur le plan légal ?
Au-delà de la complicité, si cette personne était consciente des infractions commises, la législation française, qui a évolué depuis 2023, inclut désormais un délit appelé le "délit d'administration de plateforme". Ce délit rend responsable le créateur de cette plateforme s'il est établi qu'elle a été utilisée pour commettre des infractions et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour éviter tout abus sur son site.
La complexité de l'enquête a-t-elle été accentuée par le fait qu'il a fallu chercher au-delà de nos frontières ?
Effectivement, nous avons un suspect qui se trouvait à l'étranger. Ses avoirs criminels, que nous suspectons d'être liés à la plateforme coco, étaient disséminés dans plusieurs pays, et ses serveurs étaient localisés en Allemagne.
Comment le suspect a-t-il pu s'enrichir si la plateforme était gratuite ?
En fait, la plateforme n'était pas entièrement gratuite. Il y avait des services payants, dont un service qui nous a particulièrement surpris. Lorsqu'un utilisateur faisait l'objet d'un bannissement pour comportement inapproprié — ce qui était rare — il pouvait revenir sur le site moyennant un coût. Le suspect a donc accumulé des fonds grâce à ce système. De plus, il existait des salons numériques où des discussions pouvaient avoir lieu contre une rémunération. Nous avons des raisons de croire que l'auteur principal a généré plusieurs millions d'euros au cours des dernières années et qu'il bénéficie d'une fortune colossale.
L'administrateur du site ne pouvait-il pas ignorer ce qui se passant sur la plateforme et ses conséquences éventuelles ?
La justice va poursuivre son enquête, entendre les différents acteurs, continuer à analyser les serveurs, et il incombera à la justice de prouver que cette plateforme a prospéré en toute connaissance de cause, sans que des mesures préventives n'aient été mises en place.
