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Tout a commencé avec une pomme à moitié croquée, sur une affiche du métro. Dessinant une image intrigante, cette pomme n’avait rien à voir avec la marque technologique bien connue, mais elle me rappelait le concept du plaisir caché que Gleeden (contraction de « glee » et « eden », signifiant « joie » et « paradis ») propose. Ce site de rencontres, nécessitant un écran, un clavier et une bonne dose de baratin, utilise des slogans accrocheurs : « Restez fidèles à vos désirs, est-il écrit sur l’affiche. Gleeden, le premier site de rencontres extra conjugales pensé par des femmes. » Bien qu’il soit séduisant de penser que ce site soit conçu par des femmes, il est en réalité dirigé par des hommes, ce qui laisse transparaître une ironie délicieuse.

La fonction de pigiste a ses avantages : la maison est désertée au petit matin… Pourquoi ne pas plonger plus profondément dans cette grande roue des cocus magnifiques ? La page d’ouverture du site me rassure : « Déjà 1027 524 membres. » La belle femme qui croque la pomme, avec un sourire mystérieux, m'attrape immédiatement. Je me crée donc une adresse e-mail, une fausse identité (concepteur-rédacteur de 38 ans, marié, père de deux enfants), je m’inscris et j’attends avec impatience que cela morde… Un travail long et parfois ingrat, interrompu chaque fin d’après-midi par le gong familial (ma compagne travaille, mes trois enfants sont scolarisés). La tension monte alors que je scrute mon écran, guettant chaque notification avec une curiosité croissante.

« Chatter c’est tromper ? », pour paraphraser la question célèbre. En un sens, oui, puisque l’on développe rapidement une forme d’intimité avec des femmes jeunes et moins jeunes, toutes en quête de… de quoi, au juste ? La parole est à Blandine75*: « Ma vie de couple ? Du sexe une fois par semaine, le même jour, à la même heure, de la même façon. Je craque ! Je cherche des rencontres extra conjugales sans prise de tête et dans le respect mutuel. » C’est cette litanie incessante que je retrouverai au fil des messages, cette envie de « bousculer le quotidien », de « retrouver l’envie d’avoir envie », d’être « surprise par un homme sensuel et puissant, diabolique et brillant »… Le sexe, pour la plupart des femmes croisées sur Gleeden, apparaît comme « l’échappatoire suprême », comme le résume Elmer1011, sans doute parce que « le mariage tue le sexe », comme le déclare Josefine69. Mais c’est à Emma15 que je dois d’avoir provisoirement et profondément enterré ma mauvaise conscience : « Vous êtes marié avec des enfants, alors nous sommes faits pour nous entendre ! » Et celle-ci, avec une sagesse inattendue, enterre mes convictions d’homo fidelus: « Si vous pensez que l’aventure est dangereuse, essayez la routine… elle est mortelle ! »

Avec Sylvie, je m'ennuie

Sylvie, la première qui accepte de me rencontrer, est une femme assez petite, châtain, au physique doux et un peu mélancolique qui me fixe, le regard légèrement de biais. C’est une visiteuse médicale que son mari, employé à la mairie de leur ville, semble délaisser au point, crois-t-elle, de la tromper. Dans cette quête de sensations nouvelles, je m'attendais à un échange palpitant, mais nous avons choisi un lieu, une brasserie parisienne, à la gare du Nord, où les consommateurs encombrés de sacs ou de valises donnent une espèce d’urgence passagère à notre rencontre. Nous avons parlé de tout et de rien, d’une façon un peu trop linéaire pour vraiment me plaire, contrairement à nos «chats», qui étaient plus toniques. La balle au bond ne semble pas être son sport de prédilection, à moins que je ne lui plaise pas, hypothèse réalisable. En ce qui me concerne, c’est une certitude. Sylvie a 38 ans, deux enfants, des tonnes de désillusions, mais le sexe en terre inconnue n’apparaît en fait pas comme sa priorité. C’est une feuille de vigne qui masque un vide existentiel que je ne me sens pas le courage de combler. Nous nous séparons au bout d’une heure en échangeant nos numéros, mais avec une évidence réciproque : il n’y aura aucune suite.

Je flirte avec Maryse

Deux jours plus tard, j’accroche avec Belleplante par une citation qui m’évoque le siècle des libertins, une période où on ne remplissait pas de fiche signalétique avant de partir à l’assaut: « La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité.» Maryse (appelons-la Maryse), 32 ans, est une grande rousse aux yeux bleus et à la peau incroyablement pâle. Elle travaille dans le spectacle et se définit comme une intermittente du cœur. Je lui ai donné rendez-vous au Café Marly. C’est vrai, c’est une belle plante, sensuelle et directe, espiègle et amusante, celle-là même qui m’avait lancé dans un « chat » : « Si vous ne mesurez pas 1,80 m, pas la peine d’insister. » Belleplante ou Grandetige ? Maryse mesure 1,79 m. J’ai insisté parce que je fais un peu plus. Maryse vit avec un type « dans le théâtre » qui ne semble pas se formaliser de la voir papillonner. « Nous sommes libres de faire ce que nous voulons, enfin, de temps en temps… Marc et moi nous sommes lancés une sorte de défi: lui aussi est en chasse, et je sais qu’il a “pécho” récemment une nana. Moi je suis plus sélective et plus lente à la détente. Il me faut le petit frisson pour faire céder ma digue. Je ne recherche pas simplement une aventure physique, je veux un véritable échange, et une alchimie qui transforme chaque instant partagé en moment inoubliable. »

Lorsque je lui demande de me donner trois raisons qui l’ont poussée à aller voir sur Gleeden si j’y suis, Maryse agite ses bracelets sonores, me fixe de ses grands yeux bleus, prend son inspiration et m’affirme sans détour : « D’abord par curiosité, ensuite par envie, enfin pour bousculer ce satané quotidien qui nous plombe tous. » Ce « nous » et ce « tous » me font un drôle d’effet, comme si, de son point de vue, l’affaire était dans le sac. Je lui propose de sortir et l’entraîne dans les allées des Tuileries. Je la prends par la main, puis par le bras, enfin par les sentiments, cherchant à créer une connexion authentique entre nous.

« L’échange de deux fantaisies, le contact de deux épidermes… » Certains connaissent la définition de l’amour par le moraliste Chamfort. C’est un peu ça, avec Maryse, sans l’amour. Juste une excitation des sens, une fébrilité provoquée par une complicité des mots et des regards. J’ai assez peur de ce qui pourrait nous arriver et, bizarrement, je sonne une retraite honteuse, à deux pas de tous ces hôtels qui nous tendent les bras. Il faut que j’aille chercher ma petite dernière à l’école. Et puis, au fond, cette façon d’être un enjeu sexuel dans un concours de gentils organisateurs de parties de cul planquées m’excite à moitié. Nous nous quittons sur un baiser emballant. Maryse embrasse bien. Très bien même. Mais le devoir familial me retient. In extremis. Je reste un honnête père de famille. Jusqu’à quand ?

Je m’échauffe avec Séverine

Avec la troisième, nous avons joué, plusieurs après-midi, par écrans interposés, à qui chambrait le plus l’autre, histoire de mesurer nos instincts sexuels. Fais-moi mal, chérie, chéri… Séverine a 41 ans, en fait dix de moins, de la tchatche mordante. C’est elle qui a fixé le lieu du rendez-vous, au bout de dix jours de valse-hésitation: un bar de la rue Saint-Antoine où la musique assourdissante est un excellent prétexte pour assez vite se rapprocher dangereusement l’un de l’autre et se postillonner dans l’oreille. Je ne m’attendais pas à tant d’énergie dans ses répliques, et cela m’a vraiment captivé. J’avoue avoir été sensible à ces approches sournoises. Séverine est cadre dans une société financière. Si cette blonde un peu enrobée aux cheveux courts et au regard futé jongle avec les millions des autres au bureau, elle doit aussi se coltiner des heures sup en comptant les moutons au lit, où son mari, comptable, lui semble « aussi sexué qu’une blette ». Ce soir-là, nous en restons là vers minuit, heure raisonnable pour faire gober un bobard à nos « amoureux(se) » respectifs. C’est pendant ces moments, entre passion cachée et réalité quotidienne, que je commence à réaliser le petit jeu dangereux auquel je participe.

Je bous avec Leila

Leila, la petite dernière de mes rencontres, m’a intrigué par sa candidature lapidaire: « Une aventure, une conversation, une histoire. » J’aurais plus dit: « Une conversation, une aventure, une histoire. » Mais non. Pour Leila, « si tu tiens la route au lit, cela veut dire que nous pourrons envisager de nous arrêter sur le bas-côté pour parler et rigoler. Et si tu as de la conversation dans tous les sens du terme, je pourrais imaginer une histoire de cul sérieuse entre nous. » J’ai fini par rencontrer Leila au bar du Mama Shelter : une petite brune pas très jolie mais pleine de charme, coiffée d’un carré et munie d’un aplomb extraordinaire. Elle est assistante de direction dans une société d’emballage en grande banlieue, un rôle qu’elle prend très au sérieux. M’a-t-elle emballé ? Je ne vous dirai pas si nous avons suivi son programme dans l’ordre ou commencé par le mien, plus conventionnel, mais peut-être moins risqué pour mon ego de super-mâle… Ce qui est sûr, c’est que chaque minute passée avec elle m’a fait me questionner sur mes véritables envies et désirs.

Je rêve de toutes les autres

Ce que je peux vous dire, en revanche, c’est que j’aurais aussi aimé en savoir plus sur Louloue, fleuriste de 26 ans : « Ne se prend pas la tête et aime être surprise. Ne soyez pas timide, j’aime qu’on soit cru, alors les romantiques, allez sur Meetic ! » Mais nos échanges n’ont sans doute pas été assez crus à son goût, ce qui m’a laissé un goût amer de non-dit. Je n’ai pas cherché à en savoir plus sur Fabyn, 100 kg pour 1,50 m, « mélange de Monica Belluci et Josiane Balasko » (et c’était tentant). Ou encore sur cette « femme mariée de 33 ans cherchant des extras sympas sans prise de tête mais remplis de charme, frisson et désir. Femme ou homme, mais pas les deux en même temps. » Sympa de préciser. Un extra, un en-cas, un hors-d’œuvre, un dessert… C’est certain, l’homme est ici un plat très comestible, à déguster sans modération. J’aurais peut-être apprécié Falbix: « Femme jeune (encore), blonde (ça dépend du temps), yeux bleus (deux c’est mieux), dynamique (j’essaie), élégante (enfin, je crois), seconde main (mariée ou presque) mais en très bon état de fonctionnement. » Enfin, j’aurais eu trop peur de décevoir Ginette-Dus: « A la recherche de son Jean-Claude, entre 37 et 45 ans max, sûr de son charme, d’un bon niveau social et avec son humour légendaire. » Dans cet univers de promesses et d'illusions, je ne peux m'empêcher de rêver à ces rencontres non réalisées.

Basta Gleeden et sa croqueuse de pomme. Les fruits que je préfère sont dans ma cuisine. Je n’ai pas besoin de leur raconter des salades pour les croquer, car au fond, la réalité que je vis est pleine de saveurs bien plus authentiques.

(*) Pseudos et prénoms ont été modifiés. Les photos sont purement illustratives et ne représentent en rien la réalité.

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